CHAPITRE TROISIÈME
La tradition alexandrine :
Origène[1]
1. Introduction
Nous poursuivons la
présentation et le commentaire de quelques textes patristiques concernant la
formation sacerdotale. Je me réfère maintenant à ce qu'on nomme la « tradition
alexandrine ».
Alexandrie - nous l’avons
déjà dit - semble accueillir deux instances complémentaires par rapport à la
tradition antiochienne, c'est-à-dire l'allégorie
en exégèse et la valorisation de la
divinité du Verbe en christologie. Plus en général, Alexandrie est bien
loin de ce qu'on nomme le « matérialisme » asiatique, dont on parlait
au second chapitre : ceci paraît évident même dans le domaine ecclésiologique
et, en particulier, dans la conception du ministère ordonné. [2]
Pour illustrer les
orientations alexandrines sur le thème de la formation sacerdotale, je me
limite à un seul exemple, d’ailleurs très représentatif : je me réfère à
Origène, surtout à ses Homélies sur le
Lévitique, prononcées à Césarée de Palestine entre 239 et 242. Nous sommes désormais
à quelques années de distance de la grave crise qui - à cause de l'ordination
sacerdotale que lui avaient conférée vers 231 les évêques de Césarée et de
Jérusalem à l'insu de l'évêque d'Alexandrie - opposa Origène à son ordinaire
Démétrius. La crise resta ouverte, et causa justement le transfert d'Origène à
Césarée.
Un héritier de la
tradition alexandrine en Occident - surtout dans le domaine exégétique - est
Ambroise, évêque de Milan (+ 397). [3] Mais d'Ambroise et d'Augustin, son
« disciple », nous avons déjà parlé dans le premier chapitre. De
toute façon, pour compléter le discours, je renvoie à la relation du père
Janssens, cité en son temps, sur la verecundia
(ou sur le « digne comportement ») des clercs dans le traité
ambrosien De officiis [ministrorum]. [4]
2. Origène (+ 254) [5]
Il faut reconnaître
d'abord qu'Origène, en bon alexandrin, est plus intéressé à contempler l'Eglise dans son aspect
spirituel, comme Corps mystique du Christ, que pas dans son aspect visible.
Ainsi Origène est
plus attentif à la ce qu'on nomme « hiérarchie de la sainteté », en
rapport avec un chemin incessant de perfection proposé à chaque chrétien, que
pas à la « hiérarchie visible ».
Par conséquent,
l'Alexandrin se réfère plus souvent au sacerdoce commun des fidèles et à ses
caractéristiques, que pas au sacerdoce hiérarchique. [6]
En tout cas, en
suivant le discours d'Origène sur l'un et sur l'autre thème, il ne sera pas
difficile tirer quelques indications sur l'itinéraire de formation des prêtres.
2.1. Le sacerdoce des fidèles et les conditions pour son exercice
Une longue série de
textes d’Origène entend illustrer les conditions demandées pour l'exercice du
sacerdoce commun.
Dans la neuvième Homélie sur le Lévitique, Origène - se
référant à la défense faite à Aaron, après la mort de ses deux fils, d'entrer
dans le sancta sanctorum « n’importe
quand » (Lévitique 16,2) - met
en garde : « Cela montre que si quelqu’un entre à n’importe quelle heure dans
le sanctuaire, sans la préparation requise, non revêtu des ornements
pontificaux, sans avoir préparé les offrandes prescrites et s’être rendu Dieu
propice, il mourra [...]. Ce discours nous concerne tous: ce que la loi dit ici
se réfère à tous. Elle ordonne en effet que nous sachions comment accéder à
l'autel de Dieu. Ou ne sais-tu pas qu’à toi aussi, c'est-à-dire à toute l'Eglise de Dieu et au peuple
des croyants, a été conféré le sacerdoce ? Ecoute comment Pierre parle des
fidèles : « Race élue », dit-il, « royale, sacerdotale, nation
sainte, peuple que Dieu s'est acquis ». Tu as donc le sacerdoce parce que
tu es « race sacerdotale », et donc tu dois offrir à Dieu le
sacrifice de la louange, le sacrifice des oraisons, le sacrifice de
miséricorde, le sacrifice de pureté, le sacrifice de justice, le sacrifice de
sainteté. Mais pour que tu puisses offrir dignement ces choses, tu as besoin de
vêtements purs et distincts des vêtements communs aux autres hommes, et tu as
besoin du feu divin - pas un feu étranger à Dieu, mais celui qui par Dieu est
donné aux hommes – dont le Fils de Dieu dit : « Je suis venu pour envoyer
le feu sur la terre » ». [7]
Encore dans la
quatrième Homélie, partant de la
législation lévitique selon laquelle le feu pour l'holocauste devait brûler perpétuellement
sur l'autel (Lévitique 6,8-13),
Origène apostrophe ainsi ses fidèles : « Il écoute : il doit toujours y
avoir du feu sur l'autel. Et toi, si tu veux être prêtre de Dieu - comme il est
écrit : « Vous tous serez des prêtres du Seigneur », et comme il t’est
dit : « Race élue, sacerdoce royal, peuple que Dieu s'est acquis » -
; si tu veux exercer le sacerdoce de ton âme, ne laisse jamais s’éloigner le
feu de ton autel ». [8]
Comme on le voit,
l'Alexandrin fait allusion aux conditions intérieures qui rendent le fidèle
plus ou moins digne d'exercer son sacerdoce. Car il poursuit ainsi dans la même
Homélie : « Cela signifie ce que
le Seigneur commande dans les évangiles, que « vos flancs soient ceints et
vos lampes allumées ». Donc que soit toujours allumé pour toi le feu de la
foi et la lampe de la science ». [9]
En définitive, d'une
part les « flancs ceints » [10] et les « vêtements sacerdotaux », c'est-à-dire
la pureté et l’honnêteté de vie, de l'autre la « lampe toujours
allumée », c'est-à-dire la foi et la connaissance des écritures, se
configurent précisément comme les conditions indispensables pour l'exercice du
sacerdoce commun.
Elles le sont à
majeur titre, évidemment, pour l'exercice du sacerdoce ministériel : nous
pourrions dire même que dans la pensée d’Origène elles constituent les « bornes
milliaires » de la formation presbytérale. Mais sur ce discours nous reviendrons
dans les conclusions.
2.2. Sacerdoce des fidèles et accueil de la parole
Plutôt que sur les
« flancs ceints », Origène insiste davantage sur la « lampe
allumée », c'est-à-dire sur l'accueil et sur l'étude de la parole de Dieu.
« Jéricho s’écroule
sous les trompettes des prêtres », commence l'Alexandrin dans la septième Homélie sur Josué ; et il commente, un peu
plus loin: « Tu as en toi Josué [= Jésus] comme guide grâce à la foi. Si
tu es prêtre, construis-toi des « trompettes métalliques » (tubae ductiles) ; ou mieux, puisque tu
es prêtre - en effet tu es « race royale », et de toi il est dit que
tu es « sacerdoce saint » -, construis-toi les « trompettes
métalliques » des saintes écritures, tire (duc) d’elles les vrais significations, tire d’elles tes discours ;
en effet c’est bien pour cela qu’elles s'appellent des tubae ductiles. Chante en elles, c'est-à-dire chante avec des
psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels, chante avec les symboles des
prophètes, avec les mystères de la loi, avec la doctrine des apôtres ». [11]
En s’en tenant à la
troisième Homélie sur la Genèse, le
« peuple élu que Dieu s'est acquis » doit accueillir dans ses oreilles
la digne circoncision de la parole de Dieu : « Vous, peuple de
Dieu », affirme Origène, « peuple
choisi en possession pour narrer les vertus du Seigneur », accueillez la
digne circoncision du verbe de Dieu dans vos oreilles et sur vos lèvres et dans
le coeur et sur le prépuce de votre chair, et en général dans tous vos
membres ». [12]
« Toi, peuple
de Dieu », ajoute encore Origène dans un autre contexte, « tu es convoqué
pour écouter la parole de Dieu, et pas comme plebs, mais comme rex. À
toi en effet il est dit : « Race royale et sacerdotale, peuple que Dieu s’est
choisi » ». [13]
L'accueil des
écritures est décisif pour une pleine participation à la « race
sacerdotale ». En interprétant allégoriquement Ezéchiel 17, Origène illustre à ses fidèles deux possibilités,
opposées entre elles : l'alliance avec Nabuchodonosor - marquée par la
malédiction et l'exil -, caractéristique de celui qui refuse la parole ; ou
bien l'alliance avec Dieu, dont la carte d’identité est précisément l'accueil
des écritures. À cette alliance fait suite la bénédiction et la promesse :
ainsi « nous tous, qui avons accueilli la parole de Dieu, nous sommes regium semen », déclare Origène
dans la douzième Homélie sur Ezéchiel.
« En effet nous sommes appelés « race élue et sacerdoce royal, nation
sainte, peuple que Dieu s'est acquis » ». [14]
2.3. Sacerdoce des fidèles et « hiérarchie de la sainteté »
Ces conditions – une
conduite de vie intègre, mais surtout l'accueil et l'étude de la parole -
établissent une véritable « hiérarchie de la sainteté » [15] dans le sacerdoce commun des chrétiens.
Par exemple, Origène
pense clairement à une « hiérarchie de mérites spirituels », bien plus
qu'à une « hiérarchie visible », lorsque il affirme, en conclusion de
la quatrième Homélie sur les Nombres sur l'explication du recensement et des offices
liturgiques des lévites (Nombres 4):
« Puisque donc telle est la façon dont Dieu dispense ses mystères et règle
le service des objets sacrés, devons nous montrer tels, que nous sommes rendus
dignes du rang sacerdotal [...]. Nous sommes en effet « nation sainte,
sacerdoce royal, peuple d'adoption », parce que, en répondant avec les
mérites de notre vie à la grâce reçue, nous sommes considérés dignes du
ministère sacré ». [16][1]
Dans l’Homélie suivante, la cinquième sur les Nombres, en s'aventurant dans une
interprétation osée du texte (Nombres
4,7-9), il lit de façon allégorique les divers éléments qui constituent la « tente
de la rencontre ». On peut encore y saisir quelque allusion à la
« hiérarchie de la sainteté » lorsque le prédicateur affirme que
« il y a dans cette tente», c'est-à-dire dans l'Eglise du Dieu vivant,
« des personnages plus élevés dans le mérite et des supérieurs dans la
grâce ». En tout cas, tous les fidèles dans leur ensemble constituent le
« reste », c'est-à-dire le peuple des saints que les anges portent dans
les mains pour que leur pied n'achoppe pas dans la pierre, et qu’ils puissent
entrer dans le lieu de la promesse.
Malgré les sévères précautions lévitiques, il est licite à chacun de contempler
sans sacrilège quelques aspects du mystère de Dieu, parce que tous ensemble
sont appelés « race et sacerdoce royal, nation sainte, peuple que Dieu
s'est acquis ». [17][1]
Toujours dans les Homélies sur les Nombres on lit la
célèbre interprétation d’Origène concernant le puits de Beer, dont « le
Seigneur dit à Moïse : « Rassemble le peuple, et je lui donnerai de
l'eau ». Alors Israël chanta ce chant : « Jaillit, oh puits : chantez-le!
Puits que les princes ont creusé, que les rois du peuple ont percé de leur sceptre,
avec leurs bâtons » » (Nombres
21,16-18). Origène voit dans ce puits Jésus-Christ en personne, la source de la
parole, et dans l'allusion aux princes et aux rois du peuple les différents
degrés de profondeur dans la lecture et dans l'interprétation des écritures. Si
ensuite il faut distinguer entre princes et rois, Origène propose de voir dans
les princes les prophètes, dans les rois les apôtres. « Quant au fait que
les apôtres puissent être appelés rois », l'Alexandrin explique :
« on peut facilement le déduire de ce qui est dit de tous les croyants :
« Vous êtes race royale, souverain sacerdoce, nation sainte » ».
[18][1]
Il reste établi de
toute manière que pour Origène la hiérarchie la plus véritable est celle qui se
fonde sur les divers niveaux d'accueil des écritures, tandis que reste
implicite - au moins dans la dernière Homélie
citée – que la référence à la parole de Dieu est indispensable pour l'exercice
du « sacerdoce royal » commun à tous les fidèles.
2.4. La « hiérarchie ministérielle »
Dans ses homélies
Origène se réfère expressément aux évêques, aux prêtres et aux diacres. À son
avis, cette « hiérarchie visible » doit représenter aux yeux des
fidèles la « hiérarchie invisible » de la sainteté. En d'autres
termes, dans la doctrine d'Origène l’ordination ministérielle et la sainteté
doivent aller de pair.
« Les
prêtres », écrit-il dans la sixième Homélie
sur le Lévitique, « doivent se regarder dans les préceptes de la loi
divine comme dans un miroir, et tirer de cet examen le degré de leur mérite :
s'ils se trouvent revêtus des ornements pontificaux [...], s'il leur résulte qu’ils
sont à la hauteur [de leur vocation] dans la science, dans les actes, dans la
doctrine ; alors ils peuvent considérer qu’ils ont atteint le souverain sacerdoce
pas seulement de nom, mais aussi par leur mérite effectif. Autrement, qu’ils se
considèrent de rang inférieur, même s’ils ont reçu nominalement le premier
rang ». [19]
Comme on le voit,
une estime très haute du sacerdoce ordonné rend Origène très exigeant, presque
radical, envers les ministres sacrés. Il met donc en garde quiconque de se précipiter
« vers ces dignités qui viennent de Dieu, et vers les présidences et les ministères
de l'Eglise ». [20] Et dans la seconde Homélie
sur les Nombres il demande avec douleur : « Tu crois que ceux qui ont
le titre de prêtres, qui se glorifient d'appartenir à l'ordre sacerdotal, marchent
selon leur ordre, et font tout ce qui convient à leur ordre ? De la même
manière, tu crois que les diacres marchent selon l'ordre de leur ministère ? Et
d'où vient alors que l’on entend souvent les gens se plaindre, et dire :
« Regarde cet évêque, ce prêtre, ce diacre… » ? Ne le dit-on pas
peut-être parce qu'on voit le prêtre ou le ministre de Dieu manquer aux devoirs
de son ordre ? ». [21]
Ainsi dans ses
homélies il n’hésite pas à blâmer ouvertement les défauts les plus apparents des
prêtres de son temps. Il nous en résulte un efficace portrait « en
négatif » des dangers à éviter dans la formation des prêtres.
Un point faible des
prêtres est, de l’avis Origène, la soif d'argent et de gains temporels ; en
somme – dirions-nous - la tentation de l'embourgeoisement et d’un
horizontalisme exaspéré. Il déplore que les prêtres se laissent absorber par
les préoccupations profanes, et ne demandent rien d’autre que de passer la vie
présente « en pensant aux affaires du monde, aux gains temporels et à la
bonne nourriture ». [22][1] Et il ajoute, dans un autre contexte : « Entre nous ecclésiastiques,
on trouve celui qui fait tout pour satisfaire son ventre, pour être honoré et
pour recevoir à son avantage les offrandes destinées à l'Eglise. Les voilà, ceux
qui ne parlent de rien d'autre que du ventre, et qui tirent de là toutes leurs
paroles… ». [23]
Origène reproche aux
prêtres également l'arrogance et l'orgueil. « Parfois », observe-t-il
dans la seconde Homélie sur le livre des
Juges, « on trouve parmi nous - qui sommes donnés en exemple d’humilité,
et placés autour de l'autel du Seigneur comme un miroir pour ceux qui nous
regardent - on trouve quelques hommes dont s’exhale le vice de l'arrogance.
Ainsi une odeur répugnante d'orgueil se répand à partir de l'autel du
Seigneur ». [24]. Et il poursuit ailleurs : « Combien de prêtres
ordonnés ont oublié l’humilité ! Comme s'ils avaient été ordonnés juste pour
cesser d'être humbles ! [...] On t’a établi comme chef : ne t'exalte pas, mais sois
parmi les tiens comme l’un d'entre eux. Il faut que tu sois humble, il faut que
tu sois humilié ; il faut fuir l'orgueil, le sommet de tous les maux ». [25]
D’autres péchés des
prêtres sont, selon Origène, le mépris - ou au moins une moindre considération
- des humbles et des pauvres ; et dans les rapports avec les fidèles, une
espèce de « balançoire » entre une sévérité excessive et une
indulgence non moins excessive.
3. Conclusions provisoires
Si nous recueillons
les indications qu’Origène fournit sur le sacerdoce commun et sur le sacerdoce hiérarchique,
nous pouvons déduire l’itinéraire de formation presbytérale que voici.
La « carte » pour accéder à cet itinéraire est la « lampe à huile allumée », c'est-à-dire
l'écoute de la parole. Une autre condition indispensable ce sont « les
reins ceints » et les « vêtements sacerdotaux », c'est-à-dire
une vie intacte et pure : à ce propos, les ministres ordonnés devront se
regarder surtout des tentations de l'embourgeoisement, de l'orgueil, de la
moindre considération des pauvres, de la sévérité excessive et du laxisme. Ce
qui est demandé aux prêtres, c’est donc l’obéissance radicale au Seigneur et à
sa parole, le détachement de l'esprit du monde, la pleine fraternité avec le
peuple. Le sommet du chemin de perfection - c'est-à-dire le point d'arrivée de l'itinéraire de formation
sacerdotale, vu que « hiérarchie de la sainteté » et
« hiérarchie ministérielle » doivent s'identifier - est pour Origène
le martyre.
Dans la neuvième Homélie sur le Lévitique - en faisant
allusion au « feu pour l'holocauste », c'est-à-dire à la foi et à la
science des écritures, qui ne doivent jamais s'éteindre sur l'autel de celui
qui exerce le sacerdoce -[26] l'Alexandrin ajoute : « Mais chacun de nous a en soi »
pas seulement le feu ; il a « aussi l'holocauste, et à partir de son
holocauste il allume l'autel, pour qu'il brûle toujours. Moi, si je renonce à
tout ce que je possède et prends ma croix et suis le Christ, j’offre mon
holocauste sur l'autel de Dieu ; et si je livre mon corps pour qu'il brûle, en
ayant la charité, et si j’atteint la gloire du martyre, j’offre mon holocauste
sur l'autel de Dieu ». [27]
Ce sont des
expressions qui révèlent toute la nostalgie d'Origène pour le baptême de sang.
Dans la septième Homélie sur les Juges
- qui remonte peut-être aux années de Philippe l’Arabe (244-249), lorsque
semblait maintenant évanouie l'éventualité d'un témoignage sanglant – il s’exclame
: « Si Dieu me concédait d'être lavé dans mon propre sang, afin de recevoir
le second baptême en ayant accepté la mort pour le Christ, je m'éloignerais de
ce monde en sécurité [...]. Mais ils sont bienheureux ceux qui méritent ces
choses ». [28]
Je conclus avec une
observation d'ensemble sur l'itinéraire de formation sacerdotale d’Origène.
On ne peut pas
échapper à l'impression que dans ce domaine, comme dans d’autres, la position
d'Origène soit très exigeante, lorsqu’elle n’est pas radicale.
En tout cas sa
réflexion sur le sacerdoce (comme aussi celle d'autres maîtres alexandrins : voir
à ce sujet Clément d’Alexandrie), [29][1] tout en reliant solidement la « hiérarchie ministérielle » avec
la « hiérarchie de la perfection », ne présente jamais le prêtre
comme une espèce d’ange : il est plutôt saisi dans un chemin très concret
d'ascèse quotidienne, en bataille avec le péché et avec le mal.
Juste pour faire un
exemple, le détachement progressif du monde qui doit caractériser la formation
du prêtre, ne se traduit pas du tout dans la recherche agitée d'un lieu séparé
du monde, parce que, écrit Origène dans la douzième Homélie sur le Lévitique, « ce n'est pas dans un lieu qu’il faut
chercher le sanctuaire, mais dans les actes et dans la vie et dans les
coutumes. S'ils sont selon Dieu, s’ils se conforment aux commandements de Dieu,
peu importe que tu sois à la maison ou sur la place ; que dis-je « sur la place »
? Peu importe même si tu te trouves au théâtre : si tu sers le Verbe de Dieu tu
es dans le sanctuaire, n’en doute absolument pas». [30]
En définitive la
tradition alexandrine enrichit de concret – par une voie peut-être inattendue -
l'image du pasteur tracée par Ignace d'Antioche et Jean Chrysostome.
[1]Bibliographie
de départ: voir ci-dessus, note 39.
[2] Naturellement il
s'agit d'accentuations, et non d'enseignements unilatéraux ou exclusifs, comme le
montre par exemple le fait qu'Origène, maître de l'allégorie et de
l'interprétation spirituelle de la Bible, est un spécialiste combien attentif à
la lettre du texte sacré. Pour un approfondissement des questions je renvoie encore
à E. DAL COVOLO (cur.), Storia della teologia..., pp. 181-203
(«Esegesi biblica e teologia tra Alessandria e Antiochia») e p. 520, nota 11.
Si veda inoltre H. CROUZEL, La Scuola di Alessandria e le sue vicissitudini,
in ISTITUTO PATRISTICO AUGUSTINIANUM (cur.), Storia della teologia, 1. Età
patristica, Casale Monferrato 1993, pp. 179-223; J.J. FERNáNDEZ SANGRADOR,
Los origenes de la comunidad cristiana de Alejandría (= Plenitudo
Temporis, 1), Salamanca 1994.
[3]Cfr. M. SIMONETTI, Lettera
e/o allegoria. Un contributo alla storia dell'esegesi patristica (= Studia
Ephemeridis «Augustinianum», 23), Roma 1985, pp. 271-280.
[4] Voir
ci-dessus, note 12-13 et contexte.
[5] Pour une
introduction à Origène, après le volume de H. CROUZEL, Origene (=
Cultura cristiana antica) (ed. francese, Paris 1985), Roma 1986, voir M.
MARITANO, in G. BOSIO - E. DAL COVOLO - M. MARITANO, Introduzione ai Padri
della Chiesa. Secoli II e III (= Strumenti della Corona Patrum, 2), Torino
19953, pp. 290-395 (avec bibliographie). Sur l’ordination
sacerdotale d’Origène, voir dernièrement M. SZRAM, Il problema
dell'ordinazione sacerdotale di Origene [in lingua polacca], «Vox Patrum»
10 (1990), pp. 659-670.
[6] Outre les travaux de
J. Lécuyer et de A. Vilela (cités plus loin, note 76), sur le sacerdoce chez Origène,
cf. surtout - après H.U. von BALTHASAR, Parole et mystère chez Origène,
Paris 1957, pp. 86-94 (voir la trad. ital. in ID., Origene: il mondo, Cristo
e la Chiesa [= Teologia. Fonti, 2], Milano 1972, pp. 60-65), à laquelle
Vilela se réfère souvent - Th. SCHÄFER, Das Priester-Bild im Leben und Werk
des Origenes, Frankfurt 1977 et les synthèses de H. CROUZEL, Origene,
pp. 299-301, et de L. PADOVESE, I sacerdoti dei primi secoli..., pp.
52-66. Voir enfin A. QUACQUARELLI, I fondamenti della teologia comunitaria in
Origene: il sacerdozio dei fedeli, in S. FELICI (cur.), Sacerdozio
battesimale e formazione teologica nella catechesi e nella testimonianza di
vita dei Padri (= Biblioteca di Scienze Religiose, 99), Roma 1992, pp.
51-59; Th. HERMANS, Origène. Théologie sacrificielle du sacerdoce
des chrétiens (= Théologie historique, 102), Paris 1996.
[7] ORIGÈNE, Homélie
sur le Lévitique 9.1, et M. BORRET, SC 287, Paris 1981, pp. 72-74.
[8] Ibidem 4.6, et M.
BORRET, SC 286, Paris 1981, p. 180.
[9] Ibidem.
[10] Pour
comprendre l'interprétation origénienne des « reins ceints » il est
utile de citer un passage du premier traité Sur la Pâques retrouvé à
Tura en 1941, là où l'Alexandrin explique le sens des « reins
ceints » pour le repas pascal (Exode 12,11). « Il nous est
ordonné », commente Origène, « d'être pur des rencontres corporelles,
ce que signifie le cordon aux reins. [La bible] nous enseigne à mettre un lien
autour du lieu séminal, et nous ordonne de freiner les impulsions sexuelles
lorsque nous prenons part aux chairs du Christ » (cfr. O. GUÉRAUD-P.
NAUTIN, Origène. Sur la Pâque. Traité inédit publié d'après un papyrus de
Toura [= Christianisme antique, 2], Paris 1979, p. 74. La traduction
italienne est de G. SGHERRI, Origene. Sulla Pasqua. Il papiro di Tura [=
Letture cristiane del primo millennio, 6], Milano 1989, p. 107, auquel je
renvoie aussi pour le commentaire. Cfr. Enfin E. DAL COVOLO, Origene: sulla
Pasqua, «Ricerche Teologiche» 2 (1991), pp. 207-221).
[11] ORIGÈNE, Homélie sur Josué 7.2,
ed. A. JAUBERT, SC 71, Paris 1960, p. 200.
[12] ID., Homélie sur la Genèse 3.5, et L. DOUTRELEAU, SC 7 bis, Paris 1976, p. 130. Le passage évoque par certains aspects la doctrine origénienne des sens spirituels, sur lesquels on peut voir K. RAHNER, , I «sensi spirituali» secondo Origene, in ID., Teologia dell'esperienza dello Spirito (= Nuovi Saggi, 6), Roma 1978, pp. 133-163. Plus en général, sur l'exégèse origénienne, voir dernièrement T. HEITHER, Origenes als Exeget. Ein Forschungsüberblick, in G. SCHÖLLGEN - C. SCHOLTEN (curr.),Stimuli. Esegese und ihre Hermeneutik in Antike und Christentum. Festschrift für Ernst Dassmann, Münster Westfalen 1996, pp. 141-153.
[13]
ORIGENE, Homélie sur les Juges 6,3, edd. P. MESSIÉ-L. NEYRAND-M. BORRET, SC 389, Paris 1993, p. 158. D'autre
part, selon Origène quiconque possède la science de la loi divine est prêtre,
« et, ut breviter explicem, qui legem et secundum spiritum et secundum
litteram novit » : ID., Homélie sur le Lévitique 6.3, et M. BORRET,
SC 286, p. 280.
[14] ID., Homélie sur Ezéchiel 12.3,
et M. BORRET, SC 352, Paris 1989, p. 386.
[15]J. LÉCUYER, Sacerdoce
des fidèles et sacerdoce ministériel chez Origène, «Vetera Christianorum» 7
(1970), p. 259; A. VILELA, La condition collégiale des prêtres au III
siècle (= Théologie historique, 14), Paris 1971, pp. 79-83.
[16] ORIGÈNE, Homélie sur les Nombres
4.3, et W.A. BAEHRENS, GCS
30, Leipzig 1921, p. 24; cfr. A. MÉHAT, SC 29, Paris 1951, p. 108:
"Origène songe plus à la hiérarchie des mérites qu'à la hiérarchie
visible".
[17] ORIGÈNE, Homélie sur les Nombres
5.3, et W.A. BAEHRENS, GCS
30, pp. 28s.
[18] Ibidem 12.2, p.
99.
[19] ID., Homélie sur le Lévitique
6.6, et M. BORRET, SC 286, pp. 290-292.
[20] ID., Homélie sur Isaïe 6.1, et
W.A. BAEHRENS, GCS 33, Leipzig 1925, p. 269.
[21] ID., Homélie sur les Nombres
2.1, et W.A. BAEHRENS, GCS
30, p. 10.
[22] ID., Homélie sur Ezéchiel 3.7,
et M. BORRET, SC 352,
Paris 1989, p. 140.
[23] ID., Homélie sur Isaïe 7.3, et W.A. BAEHRENS, GCS 33, p. 283.
[24] ID., Homélie sur le livre des Juges
2.2, et W.A. BAEHRENS, GCS
30, p. 481.
[25] ID., Homélie sur Ezéchiel 9.2,
et M. BORRET, SC 352, pp. 304-306.
[26] Voir
ci-dessus, note 68 et son contexte.
[27] ID., Homélie sur le Lévitique
9.9, et M. BORRET, SC 287, p. 116.
[28] ID., Homélie sur les Juges 7,2,
edd. P. MESSIÉ-L. NEYRAND-M. BORRET, SC 389, pp. 180-182. Sur la martyrologie
d’Origène, voir E. DAL COVOLO, Appunti di escatologia origeniana con
particolare riferimento alla morte e al martirio, «Salesianum» 51 (1989),
pp. 769-784; ID., Morte e martirio in Origene, «Filosofia e Teologia» 4
(1990), pp. 287-294; ID., Note sulla dottrina origeniana della morte,
in R.J. DALY (cur.), Origeniana Quinta (= Bibliotheca Ephemeridum
Theologicarum Lovaniensium, 105), Leuven 1992, pp. 430-437; T. BAUMEISTER, La
teologia del martirio nella Chiesa antica (= Traditio Christiana, 7),
Torino 1995, pp. 138-151 (voir aussi la bibliographie, pp. XXIX-XXXIX). Voir enfin
la note 2, pp. 180-181, de l’édition citée ci-dessus de P. MESSIÉ-L. NEYRAND-M. BORRET,
SC 389.
[29] « Les
degrés de l'Eglise d’ici-bas, évêques, prêtres, diacres, sont, je crois, un
reflet de la hiérarchie angélique et de cette économie qui, comme le disent les
écritures, attend ceux qui sur les traces des apôtres ont vécu en parfaite
justice selon l'évangile » : CLEMENT d’AL., Stromates 6,13,107,2,
edd. O. STÄHLIN-L. FRÜCHTEL-U. TREU, GCS 524, Berlin 1985, p. 485.
[30] ORIGÈNE, Homélie sur le Lévitique
12.4, et M. BORRET, SC 287, p. 182.