Saint Albert Hurtado Cruchaga, S.J.
Légiste, travailleur social et fondateur
de mouvement
(1901-1952) Chili
Lors de son
voyage au Chili en 1987, le Pape Jean-Paul II prononça ces paroles pleines
d'espérance: «Le Saint- Esprit pourra-t-il susciter de nos jours des apôtres de
l'envergure du Père Hurtado, qui manifestent la vitalité de l'Église par leur
héroïque témoignage de charité? Nous en sommes convaincus et le lui demandons
avec foi».
Albert
Hurtado Cruchaga est né à Viña del Mar au Chili, le 22 janvier 1901. Il n'a que
quatre ans lorsque son père meurt. Sa mère, Ana, dans la détresse de ce brusque
veuvage qui la laisse sans ressources, se réfugie avec ses deux fils dans la
capitale, Santiago. Sans domicile, ils doivent aller de maison en maison au gré
de parents plus ou moins bienveillants. Albert souffre beaucoup de cette
condition familiale précaire; malgré tout, il réussit sa scolarité et, en mars
1918, commence des études de droit à l'Université catholique du Chili.
«Qui aimer?»
Les années
difficiles de son enfance ont marqué profondément le jeune Albert: toute sa
vie, il sera porté à s'occuper des malheureux. Il s'adonne en leur faveur à des
activités apostoliques, et s'engage dans la politique pour leur procurer une
aide sociale. Il ne peut, en effet, voir la douleur ni une quelconque nécessité
sans chercher à y remédier. Plus tard, il écrira: «Qui aimer? Tous mes frères
humains. Souffrir de leurs échecs, de leurs misères, de l'oppression dont ils
sont victimes. Me réjouir de leurs joies. Commencer par me souvenir de tous
ceux que j'ai rencontrés sur mon chemin. De ceux dont j'ai reçu la vie, la
lumière et le pain. De ceux avec qui j'ai partagé le toit et le pain... Ceux
que j'ai combattus, que j'ai fait souffrir, que j'ai déçus, à qui j'ai fait du
tort... Tous ceux que j'ai secourus, aidés, à qui j'ai pu prêter main forte...
Ceux qui se sont opposés à moi, m'ont méprisé, ou m'ont fait du tort... Tous
les habitants de ma ville, de mon pays... Tous les habitants du monde sont mes
frères».
Mais un tel
amour du prochain est-il possible? Oui, explique le Pape Benoît XVI: «L'amour
du prochain se révèle possible au sens défini par la Bible, par Jésus. Il
consiste précisément dans le fait que j'aime aussi, en Dieu et avec Dieu, la
personne que je n'apprécie pas ou que je ne connais même pas. Cela ne peut se
réaliser qu'à partir de la rencontre intime avec Dieu, une rencontre qui est
devenue communion de volonté pour aller jusqu'à toucher le sentiment.
J'apprends alors à regarder cette autre personne non plus seulement avec mes
yeux et mes sentiments, mais selon la perspective de Jésus-Christ. Son ami est
mon ami. Au-delà de l'apparence extérieure de l'autre, jaillit son attente
intérieure d'un geste d'amour, d'un geste d'attention... Je peux donner à l'autre
bien plus que les choses qui lui sont extérieurement nécessaires: je peux lui
donner le regard d'amour dont il a besoin» (Encyclique Deus caritas est,
25 décembre 2005, n. 18).
Albert
hésite entre le sacerdoce, la vie consacrée et le mariage. Finalement, après
une intense prière, il s'offre au Seigneur: «Je Te donne tout ce que je suis et
possède, je veux tout Te donner, Te servir là où il n'y aura aucune restriction
au don total de moi-même», puis il opte pour le noviciat de la Compagnie de
Jésus. Le 7 août 1923, le jeune homme passe brillamment l'examen final à
l'Université catholique et reçoit le titre d'avocat. Malgré la perspective d'un
avenir qui s'annonce très prometteur, il entre au noviciat des Jésuites. Il
écrit à un ami: «Enfin me voici Jésuite, heureux et content comme il n'est pas
possible de l'être davantage en ce monde. Je rends grâces à Dieu qui m'a
conduit dans ce Paradis, où l'on peut être tout à Lui 24 heures sur 24». Envoyé
à Córdoba, en Argentine, il y prononce ses voeux, le 15 août 1925. Son esprit
de service lui fait demander les humbles travaux de la cuisine. Il s'applique à
la pratique des vertus, en particulier au respect du prochain: «Ne pas
critiquer mes frères, voiler leurs défauts, parler de leurs qualités. Parler
toujours en bien des Supérieurs et de leurs dispositions». En effet, «l'honneur
est le témoignage social rendu à la dignité humaine, et chacun jouit d'un droit
naturel à l'honneur de son nom, à sa réputation et au respect. Ainsi, la
médisance et la calomnie lèsent-elles les vertus de justice et de charité» (Catéchisme
de l'Église Catholique, 2479).
Albert
Hurtado est envoyé en Espagne pour y étudier la théologie. Mais en 1931, les
troubles politiques qui sévissent dans la péninsule ibérique le forcent à
rejoindre l'Université de Louvain, en Belgique. Les témoignages de ses frères
sont unanimes à le dépeindre joyeux, ardent au travail, serviteur de tous. Le
24 août 1933, il est ordonné prêtre. «Ça y est, vous me voyez dorénavant prêtre
du Seigneur! écrit-il à un ami... Dieu m'a accordé la grande grâce de vivre
content dans toutes les maisons où j'ai vécu, et avec tous les compagnons que
j'ai eus. Mais maintenant, en recevant pour toujours l'ordination sacerdotale,
mon bonheur est à son comble. Dès lors, je ne désire qu'exercer mon ministère
avec la plus intense vie intérieure et une activité extérieure compatible avec
la première. Le secret de cette harmonie et de la réussite est dans la dévotion
au Sacré-Coeur de Jésus, c'est-à-dire dans l'Amour débordant de Notre-Seigneur».
Le plus haut possible
Il collabore
à la fondation de la Faculté de théologie de l'Université catholique du Chili
et se donne beaucoup de mal pour trouver professeurs, livres et revues. Le
10 octobre 1935, il soutient brillamment sa thèse de doctorat en pédagogie à
l'Université de Louvain, puis visite divers établissements d'enseignement en
plusieurs pays d'Europe. De retour à Santiago du Chili en février 1936, le Père
Albert donne des cours au collège des Jésuites. Il attire les jeunes et les
entraîne dans des actions caritatives et sociales. Au cours des retraites
prêchées selon les Exercices de saint Ignace, il exhorte les âmes à une
rencontre de plus en plus profonde avec le Seigneur et les aide à chercher avec
sérieux la volonté de Dieu: «Les retraites sont pour les âmes qui veulent
s'élever, et le plus haut possible; elles sont pour ceux qui ont compris le
sens du mot aimer, et que le christianisme est amour, que le commandement par
excellence est celui d'aimer».
Animé d'une
très grande ferveur sacerdotale, le Père Hurtado est un modèle de dévotion
eucharistique; un missionnaire capucin a pu dire que si les prêtres célébraient
la Messe de la même manière que lui, ils deviendraient tous saints. En 1941, il
est nommé aumônier de l'Action catholique des jeunes pour la ville de Santiago,
ce qui étend son apostolat aux élèves des lycées publics. Il encourage les
vocations. Dans un livre intitulé: Le Chili est-il un pays catholique?,
il ouvre les yeux de ses contemporains sur la situation de leur pays, signalant
le grave problème du manque de vocations sacerdotales. Mais cette difficulté
n'entame pas son optimisme foncier, et bientôt sa réussite pastorale lui vaut
de devenir aumônier national de la jeunesse catholique. Il parcourt le pays,
prêchant partout des retraites.
Lors d'une
grande procession aux flambeaux en l'honneur de la Très Sainte Vierge Marie,
sur la butte qui domine Santiago, le Père Albert apostrophe les milliers de
jeunes présents: «Si le Christ descendait cette nuit, il vous répéterait en
regardant la ville: J'ai pitié d'elle; et, se tournant vers vous, il vous
dirait avec beaucoup de tendresse: Vous êtes la lumière du monde. Vous devez
éclairer ces ténèbres. Qui veut collaborer avec moi? Voulez-vous être mes
apôtres?» Le Père fait ainsi écho à saint Ignace qui, dans ses Exercices
spirituels, prête à Jésus ces paroles: «Ma volonté est de conquérir le
monde entier, de soumettre tous mes ennemis, et d'entrer ainsi dans la gloire
de mon Père. Que celui qui veut venir avec moi, travaille avec moi; qu'il me
suive dans les fatigues, afin de me suivre aussi dans la gloire» (n. 95). Et le
Père Hurtado commente, mettant ces paroles dans la bouche de Jésus: «J'ai
besoin de toi« Je ne t'oblige pas, mais J'ai besoin de toi pour réaliser mes
projets d'amour. Si toi tu ne viens pas, une oeuvre restera irréalisée, que
toi, et toi seul, tu peux réaliser. Personne ne peut assumer cette oeuvre-là,
parce que chacun a son rôle à remplir. Regarde le monde, les moissons déjà
mûres, que de faim, que de soif dans le monde!... Beaucoup ont faim de
religion, de spiritualité, de confiance, de sens de la vie».
Le triomphe des échecs
Mais le zèle
du Père n'est pas compris de tous. On l'accuse de manquer de soumission à la
hiérarchie, d'avoir des idées avancées et excessives dans le domaine social
ainsi qu'une trop grande indépendance vis-à-vis des autres branches de l'Action
catholique. L'opposition lui vient en particulier de l'aumônier général de la
jeunesse. En novembre 1944, le Père Hurtado juge préférable de démissionner de
sa charge d'aumônier de l'Action catholique; il en ressent une profonde
souffrance. Cependant, il ne perd pas de vue la fécondité de cette épreuve:
«Dans le travail chrétien, écrit-il, il y a le triomphe des échecs! Les
triomphes tardifs! Dans le monde de l'invisible, ce qui apparemment ne sert à
rien est le plus efficace. Un échec complet accepté de bon coeur est source de
plus de succès surnaturel que tous les triomphes. Semer, sans se préoccuper de
ce qui poussera. Continuer de semer malgré tout. Remercier le Seigneur des
fruits apostoliques de mes échecs. Quand le Christ parla au jeune homme riche
de l'Évangile, Il échoua, mais combien n'en ont pas appris la leçon! Et quand
Il annonça l'Eucharistie, combien ne se sont-Ils pas enfuis; mais aussi,
combien sont ceux qui ont accouru! Tu travailleras! Ton zèle semblera mort-né,
mais combien vivront grâce à toi!»
Par une nuit
froide et pluvieuse, il rencontre un pauvre homme, malade, grelottant, qui
s'approche et lui dit ne pas avoir où s'abriter. Sa misère le fait frémir.
Quelques jours plus tard, en prêchant une retraite à un groupe de dames, il
parle de la misère qui règne à Santiago: «Le Christ erre dans nos rues dans la
personne de tant de pauvres, souffrants, malades, jetés hors de leurs pauvres
taudis... Le Christ n'a pas de foyer! Ne pourrions-nous pas Lui en offrir un,
nous qui avons la chance d'avoir un foyer confortable, de la nourriture en
abondance, les moyens nécessaires pour éduquer nos enfants et assurer leur
avenir? Ce que vous aurez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi
que vous l'aurez fait, a dit Jésus (Mt 25, 45)». À la fin de la retraite,
il reçoit un terrain, des bijoux, quelques chèques qui permettent la naissance
du «Hogar de Cristo» (Foyer du Christ). Six mois plus tard, l'archevêque de
Santiago en bénit le premier établissement. Cette oeuvre ne cesse dès lors de
s'étendre pour recevoir les plus pauvres, créant un courant de solidarité qui
dépassera les frontières du pays. Mais son but est principalement spirituel: «Une
des premières qualités que nous devons rendre à nos indigents, c'est la
conscience de leur valeur personnelle, de leur dignité de citoyens et, plus
encore, de fils de Dieu».
La première pauvreté
Cette
expérience du Père Hurtado illustre bien les propos du Pape Benoît XVI, dans
son message pour le Carême 2006: «Face aux terribles défis de la pauvreté d'une
si grande part de l'humanité, l'indifférence et le repli sur son propre égoïsme
se situent dans une opposition intolérable avec le regard du Christ...
Aujourd'hui encore, au temps de l'interdépendance globale, on peut constater
qu'aucun projet économique, social ou politique ne remplace le don de soi à
autrui, dans lequel s'exprime la charité. Celui qui agit selon cette logique
évangélique vit la foi comme amitié avec le Dieu incarné et, comme Lui, se
charge des besoins matériels et spirituels du prochain. Il le regarde comme un
mystère incommensurable, digne d'une attention et d'un soin infinis. Il sait
que celui qui ne donne pas Dieu donne trop peu, comme le disait la Bienheureuse
Teresa de Calcutta: «La première pauvreté des peuples est de ne pas connaître
le Christ». Pour cela il faut faire découvrir Dieu dans le visage
miséricordieux du Christ: hors de cette perspective, une civilisation ne se construit
pas sur des bases solides».
En 1947, le
Père Hurtado fonde avec de jeunes universitaires l'Action Syndicale et
Économique Chilienne (ASICH), comme moyen de «réaliser un travail qui rende
l'Église présente dans le milieu professionnel». L'oeuvre offre aux ouvriers
une formation chrétienne centrée sur l'enseignement social de l'Église pour
défendre la dignité du travail humain hors de toute influence idéologique. «Il
y a des gens, écrit le Père, qui veulent progresser mais sans douleur. Ils
n'ont pas compris ce que c'est que grandir. Ils veulent se développer par le
chant, par l'étude, par le plaisir, mais pas par la faim, l'angoisse, l'échec,
le dur effort de chaque jour, ni par l'acceptation de l'impuissance qui nous
enseigne à nous en remettre au pouvoir de Dieu; ni par l'abandon des projets
personnels, qui nous fait reconnaître ceux de Dieu. La souffrance est
bienfaisante parce qu'elle me montre mes limites, me purifie, me fait m'étendre
sur la croix du Christ, m'oblige à me tourner vers Dieu». Dans le contexte de
ce travail, le Père se rend aux États-Unis et en Europe, participant, entre
autres, à la 34e Semaine sociale à Paris, puis à la Semaine internationale des
Jésuites à Versailles. À Lyon, il prend part à un congrès de théologiens
moralistes sur les relations entre l'Église et l'État. Son opinion sur le
mouvement catholique social en France est positive, mais elle comporte
certaines réserves, notamment sur les propos entendus au Congrès de Lyon. Il y
remarque «un désir excessif de rénovation et une certaine tendance à oublier
les réelles valeurs de l'Église, la vision traditionnelle». Cette tendance a
pour conséquence de laisser l'Église «sans dirigeants authentiquement
chrétiens, mais seulement avec des hommes à la mystique sociale, et non pas sociale-chrétienne»;
cependant, il remarque qu'il y a «un grand désir de servir l'Église et un
dévouement très réel». Lors d'un pèlerinage à Rome, en octobre de cette même
année, il reçoit les encouragements du Général des Jésuites ainsi que du Pape
Pie XII.
Tel un rocher battu par les vagues
Rentré au
Chili, le Père Hurtado enracine solidement l'oeuvre de l'ASICH sur le fondement
du Christ et de l'Église. En 1948, il donne des conférences très appréciées qui
attirent parfois jusqu'à quatre mille personnes et sont retransmises par la
radio. Toutefois, il est l'objet de malentendus et de critiques injustifiées.
Il avait écrit: «Si quelqu'un a commencé à vivre pour Dieu, avec abnégation et
amour pour les autres, toutes les misères frapperont à sa porte». De fait, il
note: «Je me sens fréquemment comme un rocher battu de toutes parts par les
vagues qui montent à l'assaut. Je n'y échappe que vers le haut. Durant une
heure, un jour, je les laisse se briser contre le rocher, je ne regarde pas
l'horizon, je lève les yeux vers le haut, vers Dieu. Ô bienheureuse vie active,
entièrement consacrée à mon Dieu, entièrement donnée aux hommes. Ses excès
eux-mêmes me forcent à m'adresser à Dieu, pour me trouver moi-même! Il est la
seule issue possible dans mes préoccupations, mon unique refuge».
Mais le Père
Hurtado, qui est un saint, garde les pieds sur terre: il sait que l'homme, même
dans le service de Dieu, doit ménager ses énergies: «Il ne faut pas exagérer et
épuiser ses forces dans un excès de tension conquérante. L'homme généreux a
tendance à avancer trop vite: il voudrait instaurer le bien et pulvériser
l'injustice, mais il y a une inertie des hommes et des choses dont il faut
tenir compte. Mystiquement, il s'agit de marcher au pas de Dieu, de se situer
exactement dans le plan de Dieu. Tout effort qui voudrait le dépasser est
inutile, pire encore, nocif. L'activité sera remplacée par l'activisme qui
monte comme le champagne, prétend atteindre des objectifs inaccessibles et ne
laisse aucun temps à la contemplation. L'homme cesse d'être maître de sa vie...
Le danger de l'action excessive, c'est la compensation. Une personne épuisée la
recherche facilement. Ce moment est d'autant plus dangereux qu'on a perdu en
partie le contrôle de soi-même. Le corps est fatigué, les nerfs à vif, la
volonté vacillante. Les plus grandes bêtises deviennent possibles dans ces
circonstances. Alors, il faut simplement diminuer le rythme, retrouver le calme
avec des amis vraiment bons, réciter machinalement son rosaire et somnoler
doucement en Dieu».
En janvier
1950, l'épiscopat bolivien l'invite à participer à la première «Rencontre
Nationale des Dirigeants de l'Apostolat Économique et Social». La Jeunesse
Agricole Catholique bolivienne sollicite elle aussi sa présence à une assemblée
nationale. «L'heure est arrivée, dit-il aux jeunes, où notre action
économico-sociale ne peut plus se limiter à répéter des consignes générales
tirées des encycliques pontificales, mais doit proposer des solutions bien
étudiées et d'application immédiate dans le domaine économique et social».
Entre-temps, son intérêt pour l'apostolat intellectuel le pousse à fonder la
revue «Mensaje» (Message), revue qu'il désire de «haut niveau», pour offrir une
formation religieuse, philosophique et sociale.
Une collaboration de chaque instant
Mais la
profondeur d'âme du Père Hurtado se révèle surtout lors de sa dernière maladie
et de sa mort. Se sachant atteint d'un cancer du pancréas, il s'exclame:
«Pourquoi ne serais-je pas heureux? J'en suis tout reconnaissant envers le Bon Dieu!
Au lieu d'une mort violente, il me donne une maladie longue pour que je puisse
me préparer. Le Bon Dieu a été vraiment pour moi un Père plein de tendresse, le
meilleur des Pères». Depuis longtemps, notre saint avait ordonné son intense
activité en vue de cette heure: «La vie a été donnée à l'homme pour collaborer
avec Dieu, pour réaliser son plan; la mort est le complément de cette
collaboration, car elle est la remise de tous nos pouvoirs dans les mains du
Créateur. Que chaque jour je me prépare à ma mort, en me consacrant à chaque
instant à collaborer à ce que Dieu me demande, en accomplissant ma mission,
celle que Dieu attend de moi, celle que moi seul je puis remplir». Toujours il
a désiré la vie éternelle, c'est-à-dire la rencontre définitive avec le Christ:
«Et moi? Devant moi, l'éternité. Je suis une flèche lancée vers l'éternité...
a-t-il écrit. Ne pas me cramponner ici mais, à travers toutes choses, regarder
la vie future. Que toutes les créatures me soient transparentes et me laissent
toujours voir Dieu et l'éternité. Quand elles deviennent opaques, je deviens
terrestre et je suis perdu. Après moi, l'éternité. C'est là où je vais, et très
bientôt... Quand on pense que le temps présent passera si vite, on conclut:
être citoyen du Ciel et pas de ce qui est terrestre». L'image de la flèche
manifeste à la fois la fugacité de la vie et sa concentration sur un but
unique: l'éternité. C'est d'ailleurs cette perspective de l'éternité qui
l'avait empêché d'être indifférent devant les souffrances des hommes. «Enfermer
tous les hommes dans mon coeur, tous ensemble, écrit-il. Chacun à sa place, car
naturellement il y a différentes places dans un coeur d'homme... Unifier tous
mes amours dans le Christ. Tout cela en moi, comme une offrande, comme un don
qui fait éclater le coeur; un mouvement du Christ en moi qui éveille et
enflamme ma charité, un mouvement de l'humanité vers le Christ à travers moi.
C'est cela être prêtre!»
Le Père
Hurtado meurt saintement le 18 août 1952, entouré des Frères de la communauté.
Peu auparavant, il avait écrit: «En partant, en retournant chez mon Père, je
voudrais vous confier: chaque fois que se font sentir les nécessités et les
peines des pauvres, cherchez le moyen de les aider comme on aiderait le
Maître». La Messe de ses funérailles est un véritable triomphe. À la sortie de
l'église, une croix de nuages se forme dans le Ciel, fait impressionnant relevé
par les journaux de l'époque.
Le Père
Hurtado a été béatifié le 16 octobre 1994 par Jean-Paul II, et canonisé le 23
octobre 2005 par Benoît XVI, qui faisait remarquer: «Le ministère sacerdotal de
saint Albert Hurtado se distinguait par sa sensibilité et sa disponibilité
envers les autres, étant la véritable image vivante du Maître doux et humble
de coeur. À la fin de ses jours, malgré les profondes douleurs de la
maladie, il eut la force de continuer à répéter: «Je suis content, Seigneur, je
suis content», exprimant ainsi la joie avec laquelle il avait toujours vécu».
Demandons à
saint Albert Hurtado de nous obtenir la grâce d'une joie profonde au service de
Dieu et du prochain, à travers les souffrances que ce dévouement impose.
Dom Antoine Marie osb, abbé
http://www.clairval.com/lettres/fr/2006/05/01/6030506.htm